Dermatologie

Comment comprendre et traiter le champ de cancérisation et les kératoses actiniques ?

Auteur
AuteurDr Jean Matthieu L'Orphelin
Date
Date12 juin 2024
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Comment comprendre et traiter le champ de cancérisation et les kératoses actiniques ?

Les kératoses actiniques, lésions précancéreuses causées par les rayons UV, peuvent évoluer en cancers cutanés. Découvrez comment identifier et traiter efficacement ces lésions pour protéger vos patients des risques associés.

Qu'est-ce que le champ de cancérisation et les kératoses actiniques ?

Le champ de cancérisation (CC) est un concept crucial en dermatologie, particulièrement pertinent dans le contexte des kératoses actiniques (KA). Les KA sont des lésions cutanées précancéreuses causées par une exposition cumulée aux rayons ultraviolets (UV) et signent un photovieillissement cutané. Elles apparaissent préférentiellement sur les zones de la peau les plus exposées au soleil, telles que le visage, le cuir chevelu (surtout en cas de calvitie), et le dos des mains. Ces lésions sont plus fréquentes chez les personnes à la peau claire et âgées.

Les UV, principaux carcinogènes impliqués dans la formation des KA, induisent de nombreuses mutations géniques et favorisent la promotion tumorale en agissant sur les voies cellulaires régulant la prolifération, l’apoptose, l’inflammation et l’immunosuppression. Les UVB sont directement mutagènes sur l’ADN, tandis que les UVA, plus abondants, produisent des réactifs oxygénés également mutagènes. En outre, les papillomavirus humains présents sur la peau sont considérés comme des cocarcinogènes.

Dans plus 60% des carcinomes épidermoïdes, les KA sont retrouvées comme un réel précurseur de 85 % des cas, en faisant beaucoup plus qu’un simple marqueur de dommage actinique. Cependant, toutes les KA ne se transforment pas en CEC, mais ce risque est estimé à 10% en 10 ans. Le risque de transformation dépend de plusieurs facteurs, notamment la localisation des lésions, les antécédents de CE, la multiplicité des lésions associée à un champ de cancérisation, et un terrain immunodéprimé.

Comment diagnostiquer et traiter les kératoses actiniques ?

Diagnostic

La présence d’un champ de cancérisation n’est pas visible à l’œil nu puisqu’il concerne des lésions infracliniques. Cependant, il est suspecté en présence de multiples lésions telles que KA, maladie de Bowen, CEC ou carcinome basocellulaire, accompagnées de signes de dommages solaires chroniques (atrophie cutanée, pigmentation irrégulière, chalazodermie, purpura de Bateman, cicatrices stellaires). Le diagnostic de CC est justifié dès que deux lésions de KA ou une maladie de Bowen/CEC invasif sont détectées sur une même zone.

Les techniques non invasives comme la microscopie confocale optique et le photodiagnostic par détection de protoporphyrine-IX fluorescente permettent de visualiser des lésions infracliniques. Le traitement topique des KA par imiquimod ou ingénol mébutate révèle souvent ces lésions infracliniques.


Traitements

La présence d’un CC a des conséquences cliniques importantes. Après l’exérèse d’une tumeur, il y a un risque accru de récidive tumorale sur la même zone puisque seule la lésion clinique a été traitée. Le traitement ne doit pas se limiter aux lésions visibles mais inclure toute la zone affectée.

Interventions chirurgicales

  • Cryochirurgie : Utilisation d’azote liquide pour geler et éliminer les tissus anormaux (en cas de lésion isolée).
  • Chirurgie : Excision de la lésion +/- suivie de l’application de chaleur ou d’un agent chimique.
  • Chirurgie au laser CO2 : Utilisation d’un faisceau laser pour vaporiser la lésion.

Traitements topiques

  • Les crèmes et gels sont appliqués sur les zones affectées pour traiter les lésions visibles et invisibles avec un risque minimal de cicatrices.
  • Médicaments approuvés : 5-fluorouracile, diclofénac 3%, imiquimod, tirbanibuline, mébutate d’ingénol actuellement suspendu

Thérapie photodynamique (PDT)

  • Pour les KA étendues, un agent photosensible est appliqué suivi d’une exposition à la lumière pour détruire les cellules cancéreuses et de traiter le champ de cancérisation.
  • PDT conventionnelle (c-PDT) ou PDT en lumière du jour (dl-PDT) ou PDT associée à un photosensibilisant (MAL-PDT)

Thérapies combinées

  • Association de cryochirurgie et PDT, traitements topiques et PDT, ou autres combinaisons pour améliorer l’efficacité.

Thérapies orales

  • Niacine ou acitrétine pour les patients à très haut risque de carcinome cutané.

Le traitement doit être adapté aux besoins individuels du patient, en tenant compte de l’efficacité, de la tolérance et de la facilité d’utilisation. Un traitement conduit par le médecin est préférable en cas de suspicion de mauvaise observance, tandis qu’un traitement topique auto-appliqué peut être choisi pour des patients capables de gérer leur traitement


Sensibiliser les patients : quels sont les facteurs et conseils essentiels ?

La kératose actinique, ou kératose solaire, est une affection cutanée chronique et précancéreuse liée à la l’exposition solaire chronique. Les UV endommagent la peau, en particulier l’ADN des kératinocytes, provoquant des mutations qui peuvent conduire à une prolifération cellulaire anormale et à l’apparition de KA. Ces changements sont similaires à ceux observés dans le carcinome épidermoïde invasif.

Les zones les plus touchées par les KA sont celles les plus exposées au soleil : le visage, le cuir chevelu, les oreilles et les membres supérieurs. Les personnes âgées et les hommes sont particulièrement affectés. Les professions et activités impliquant une forte exposition solaire augmentent le risque de développer des KA. En Autriche, près d'une personne sur trois après 60 ans est atteinte de KA, et plus d'une sur deux après 70 ans. La prévalence est encore plus élevée dans les pays ensoleillés comme l’Australie qui a une population majoritairement avec un phototype clair.

Conseils pour les patients :

  • Évitez l'exposition solaire entre 12h et 16h. Recherchez l'ombre lors des activités de plein air en été.
  • Portez des vêtements couvrants, un chapeau et des lunettes de soleil.
  • Appliquez une protection solaire 20 minutes avant l’exposition, puis toutes les 2 heures sur toutes les zones exposées, y compris les oreilles, les mains et le décolleté.
  • Utilisez une crème solaire avec un fort indice de protection UV, résistante à l’eau et photostable.
  • Faire de l’auto-surveillance : identifier les KA menaçantes par les critères IDRBEU (induration, diamètre > 1cm, augmentation de taille, saignement (bleeding), érythème, ulcération) devant motiver une consultation dermatologique et une biopsie devant la suspicion de transformation carcinomateuse

Quelles sont les dernières avancées dans le traitement des kératoses actiniques ?

Évaluation de l'Onguent de Tirbanibulin 1% pour le Traitement de la Kératose Actinique

Une étude récente publiée en 2024 a évalué l'efficacité et la sécurité de l'onguent de tirbanibulin 1% pour le traitement de la kératose actinique non hyperkératosique et non hypertrophique sur le visage et le cuir chevelu chez les adultes. En utilisant la technologie de tomographie par cohérence optique dynamique (D-OCT), l'étude a montré que le tirbanibulin est une option de traitement efficace et bien tolérée. À 57 jours après le traitement, le taux de disparition complète des lésions était de 68%, avec une amélioration notable de la morphologie cutanée et une réduction de l'inflammation.


Utilisation de la dermatoscopie à fluorescence induite par UV pour la kératose actinique

Une autre avancée significative dans le domaine de la kératose actinique est l'utilisation de la dermatoscopie à fluorescence induite par les UV (UVFD) pour évaluer les lésions avant la thérapie photodynamique. Une étude publiée en 2024 a révélé que l'UVFD permet de mieux visualiser les lésions infracliniques et d'évaluer l'intensité de la fluorescence, ce qui peut prédire l'efficacité du traitement et améliorer l'examen pré-procédural. L'intensité de la fluorescence était souvent plus élevée dans les champs de cancérisation, suggérant une corrélation avec les lésions de grade supérieur et potentiellement un risque accru de progression vers un carcinome épidermoïde invasif.

Rédigé par le Dr Jean Matthieu L'Orphelin – Dermatologue, Onco-dermatologue au CHU de Rouen.

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