Médecine Générale

Opioïdes et constipation : comment équilibrer soulagement de la douleur et le confort digestif ?

Auteur
AuteurDr Sandrine SORIOT-THOMAS
Date
Date20 juin 2024
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Opioïdes et constipation : comment équilibrer soulagement de la douleur et le confort digestif ?

Les opioïdes, essentiels dans la gestion des douleurs sévères, entraînent souvent une constipation sévère, impactant significativement la qualité de vie des patients. Découvrez comment gérer efficacement ce problème courant pour optimiser vos traitements.


La constipation induite par les opioïdes (CIO) est l’événement indésirable le plus fréquent lors de prise d’opioïdes.

Les opioïdes faibles ou forts sont prescrits pour le traitement des douleurs modérées à intenses. Les opioïdes dits faibles : le tramadol, la poudre d’opium, la codéine et la dihydrocodéine sont indiqués pour les douleurs d’intensité modérée à sévère, dans la prise en charge de la douleur liée au cancer, mais aussi, lorsqu’ils sont recommandés, pour le traitement de certaines douleurs aiguës ou chroniques non soulagées par la prise de paracétamol ou d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (1). Les médicaments opioïdes classés sur la liste des stupéfiants sont dits opioïdes forts et sont indiqués pour la prise en charge de douleurs intenses ou résistantes aux antalgiques de palier inférieur et en particulier celles liées au cancer. Ils sont représentés par la morphine, l’oxycodone, le fentanyl, l’hydromorphone, la méthadone et la nalbuphine (1). Selon une enquête de 2017, 12 millions de Français, soit 17,3 % de la population, avaient reçu au moins une prescription d’antalgiques opioïdes dans l’année (2).

Qu’ils soient forts ou faibles les opioïdes sont à l’origine d’effets secondaires impactant la qualité de vie des patients. Ainsi ils exposent les patients à un effet sédatif, une action psychoaffective, une possible rétention urinaire ou une bronchoconstriction avec risque de dépression respiratoire et parfois de manière paradoxale une hyperalgésie secondaire.

Mais surtout, plus de 50 % des patients sous opioïdes vont présenter des troubles digestifs. La présence de récepteurs opioïdes ayant une distribution ubiquitaire le long du tractus digestif explique ces effets (3). Ainsi au niveau de l’œsophage, les opioïdes vont être responsables de troubles de la motricité et d’un tableau d’achalasie entrainant dysphagie, brûlures et reflux. Sur l’estomac, ils entrainent une gastroparésie responsable d’une satiété précoce mais aussi de sensation de brûlures, un reflux ou des nausées et vomissements. Ils ont un impact également sur la vésicule biliaire et le pancréas, entrainant une dysfonction du sphincter d’Oddi et une diminution de la sécrétion des bicarbonates par le pancréas, responsables d’une mauvaise digestion des lipides à l’origine de douleurs abdominales hautes. Sur l’intestin grêle ils entrainent d’une dysmotilité avec perturbation de l’équilibre hydroélectrolytique et prolifération bactérienne avec sensation de ballonnement, distension et inconfort post-prandial. Au niveau du colon, ils entrainent un ralentissement du transit responsable de selles dures et sèches. De plus le sphincter anal interne présente une relaxation incomplète entrainant une nécessité de pousser et une sensation d’évacuation incomplète (3,4).

En 2016, les critères diagnostiques de ROME IV ont permis de décrire la CIO (6). Elle est définie par l’apparition ou l’aggravation des symptômes de constipation lors de l’initiation, du changement ou d’une augmentation de dose de l’opioïde, avec au moins 2 des critères suivants présents lors d’au moins ¼ des défécations: des efforts excessifs de poussée, des selles grumeleuses ou dures (type 1 ou 2 selon l’échelle de Bristol), une sensation d’évacuation incomplète, une sensation de blocage ou d’obstruction anorectale, des manœuvres digitales pour faciliter l’évacuation avec moins de 3 selles spontanées par semaine et des selles liquides rarement présentes en l’absence de laxatifs.

La constipation peut toucher jusqu’à 94 % des patients atteints d’un cancer et 57 % des patients en dehors du cancer (4). Selon une étude européenne, 38% des patients sous opioïdes faibles et 40% des patients sous opioïdes forts vont présenter une CIO (3).  Cette CIO peut avoir un retentissement négatif sur la qualité de vie des patients et entrainer une mauvaise observance du traitement antalgique, voire l’arrêt des traitements (5).

En 2016, les critères diagnostiques de ROME IV ont permis de décrire la CIO (6). Elle est définie par l’apparition ou l’aggravation des symptômes de constipation lors de l’initiation, du changement ou d’une augmentation de dose de l’opioïde, avec au moins 2 des critères suivants présents lors d’au moins ¼ des défécations: des efforts excessifs de poussée, des selles grumeleuses ou dures (type 1 ou 2 selon l’échelle de Bristol), une sensation d’évacuation incomplète, une sensation de blocage ou d’obstruction anorectale, des manœuvres digitales pour faciliter l’évacuation avec moins de 3 selles spontanées par semaine et des selles liquides rarement présentes en l’absence de laxatifs.

Afin de prévenir cette CIO, la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD) recommande la co-prescription d’un traitement symptomatique sous la forme d’un laxatif systématiquement proposé sur l’ordonnance initiale (7). La HAS recommande également de prévenir la CIO par des mesures hygiéno-diététiques, éventuellement associées à un traitement laxatif (8).

Malgré ces préconisations, au moins un patient sur trois (5), traité par opioïde, présentera une constipation. En 2016, une étude démontrait que dans 40% des cas, face à une CIO, les médecins réduisaient les doses, entrainant un moindre soulagement de la douleur. De plus une fois sur deux ils arrêtaient transitoirement le traitement (9) et ce, bien que des traitements spécifiques de la CIO soient disponibles.
Les PAMORA (Peripherally Acting Mu Opioid Recepteur Antagonist) qui ont une action périphérique antagoniste sur les récepteurs mu-opioïdes intestinaux sans modifier les effets analgésiques centraux des opioïdes (10, 11, 12). Cette classe de traitements spécifiques permet de traiter la CIO chez les patients adultes insuffisamment améliorés par un laxatif.

  • Depuis 2013, le méthylnaltrexone (RELISTOR®) est disponible en France en injection sous-cutanée. Il est indiqué chez les patients présentant une pathologie à un stade avancé et relevant de soins palliatifs et chez les patients douloureux chroniques utilisant des opioïdes (13). Sa forme galénique limite son usage.
  • Depuis 2016, le naloxégol (MOVENTIG®) est disponible dans notre pays, sous forme de comprimé par voie orale à administrer au moins 30 min avant ou 2 h après le petit-déjeuner tous les matins à la même heure à la dose de 12,5mg ou 25mg (14).
  • Depuis cette année la naldémédine (RIZMOIC®) est disponible sur le marché français. La naldémédine 200 microgrammes est à prendre tous les jours à la même heure sans contrainte spécifique. (15)
opioides

En 2019, sous l’impulsion de Farmer un groupe d’experts européens a publié des recommandations de la prise en charge de la CIO (3). Ils recommandent un traitement par PAMORA en première ligne en cas de constipation secondaire à la prise d’opioïdes ce qui ne correspond à l’autorisation de mise sur le marché française. En cas de constipation mixte, les PAMORA sont proposés en seconde intention en cas d’échec des laxatifs standards.

Fig. source : www.sciencedirect.com

En 2020, Gourcerol et Lemaire ont proposé un algorithme décisionnel adapté aux recommandations françaises, pour la prise en charge de la CIO des patients adultes nécessitant un traitement par opioïdes (4,5).
Ainsi pour l’HAS  230 000 patients, souffrant ou non d’un cancer, traités par opioïdes forts ou faibles et présentant une CIO, peuvent bénéficier d’une prise en charge par PAMORAs. (15)

Rédigé par le Docteur Sandrine SORIOT-THOMAS, Médecin généraliste et algologue, Amiens.


1. Bon usage des médicaments opioïdes : antalgie, prévention et prise en charge du trouble de l’usage et des surdoses. HAS, 2022.

2. Bon usage des médicaments antalgiques opioïdes : le RESPADD publie un guide pratique  https://www.vidal.fr/actualites/22918-bon-usage-des-medicaments-antalgiques-opioides-le-respadd-publie-un-guide-pratique.html

3. Andresen V, Banerji V, Hall G, Lass A, Emmanuel AV. The patient burden of opioid-induced constipation: new insights from a large, multinational survey in five European countries. United European gastroenterol. J 2018;6:1254-66.

4. Farmer A et al, United European Gastroenterology February 2019; 7: 7-20.

5. Gourcerol G, Lemaire A Prise en charge de la constipation induite par les opioïdes : regards croisés d’un gastroentérologue et d’un médecin de la douleur Douleurs : Évaluation - Diagnostic – Traitement 2020, 147-154.

6. Mearin F, Lacy BE, Chang L, Chey WD, Lembo AJ, Simren M, Spiller M et al. Bowel disorders Gastroenterology 2016; pii: S0016-5085(16)00222-5.

7. SFETD Utilisation des opioïdes forts dans la douleur chronique non cancéreuse chez l’adulte Recommandations de bonne pratique clinique par consensus formalisé https://www.sfetddouleur.org/wpcontent/uploads/2019/06/recos_opioides_forts_sfetd_version_longue.compressd.pdf

8. www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2022-03/reco_opioides.pdf

9. LoCasale R J, Datto C, Wilson H, Yeomans K, Coyne KS The Burden of Opioid-Induced Constipation: Discordance Between Patient and Health Care Provider Reports.J Manag Care Spec Pharm.2016, Vol. 22, No. 3, 236-245.

10. https://www.vidal.fr/medicaments/substances/methylnaltrexone-23088.html

11. https://www.vidal.fr/medicaments/substances/naloxegol-24946.html

12. https://www.vidal.fr/medicaments/rizmoic-200-mcg-cp-pellic-199827.html

13. HAS commission de transparence 10 décembre 2008 évaluation RELISTOR 12 mg/0,6 ml, solution injectable https://www.has-sante.fr/jcms/c_732639/fr/relistor-methylnaltrexone

14. HAS commission de transparence 2 décembre 2020, réévaluation MOVENTIG 12,5 mg et 25 mg, comprimé pelliculé, https://www.hassante.fr/upload/docs/evamed/CT18903_MOVENTIG_PIS_REEV_AvisDef_CT18903.pdf

15. HAS commission de transparence 2 février 2022 évaluation RIZMOIC 200 microgrammes, comprimés pelliculés https://www.hassante.fr/upload/docs/evamed/CT19544_RIZMOIC_PIC_INS_AvisDef_CT19544.pdf

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