Hématologie

SFH 2022 : leucémie myéloïde chronique

Auteur
AuteurMarine Cazaux, interne en hématologie, et l’AIH
Date
Date29 juin 2022
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SFH 2022 : leucémie myéloïde chronique

Au SFH 2022, les recommandations pour le traitement de la leucémie myéloïde chronique ont été présentées, préconisant le générique de l'imatinib en première intention et les ITK de deuxième génération dans certains cas.

Lors du congrès SFH 2022, la session d’actualités de l’Association des Internes en Hématologie (AIH) en collaboration avec l’intergroupe Français des leucémies myéloïdes chroniques (Fi-LMC) a été l’occasion de faire le point sur les recommandations actuelles concernant l’initiation du traitement par inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) chez les patients atteints de leucémie myéloïde chronique (LMC), le suivi moléculaire et surtout les modalités de l’arrêt de traitement qui s’est récemment imposé comme un objectif primaire de la prise en charge. 

En premier lieu, il est important de noter que l’ITK recommandé en 1ère intention est désormais un générique de l’imatinib chez les patients en phase chronique sans facteurs de risque alors qu’un ITK de 2e génération (dasatinib ou nilotinib ; bosutinib hors AMM en 1e ligne) sera préféré en cas de phase accélérée ou en présence de facteurs de risque tel qu’un score élevé EUTOS long-term survival (ELTS)-score (incluant l’âge, la splénomégalie, les plaquettes et les blastes circulants) et des anomalies cytogénétiques additionnelles de haut risque (duplication du Ph, trisomie 8, isochromosome 17q, trisomie 19, caryotype complexe ou anomalies du 3q26.2).

En pratique, le nilotinib est à éviter en cas de risque cardio-vasculaire élevé ou d’allongement du QT. Pour maximiser l’observance, l’information sur le profil et la gestion des effets secondaires propres à chaque ITK est fondamentale, détaillés dans les recommandations ELN 2016 1. Quelques points clés sont précisés ici. 

Sur le plan infectieux, une prophylaxie de la réactivation de l’hépatite B est conseillée. Les cytopénies surviennent fréquemment dans les semaines suivant l’initiation du traitement et sont généralement réversibles. Cette myélosuppression reflète le délai de reprise de l’hématopoïèse normale inhibée par le clone leucémique. En cas de cytopénie grade 3-4, il est conseillé de suspendre le traitement jusqu’à amélioration hématologique puis de reprendre l’ITK à la dose initiale. 

Par ailleurs, la survenue de troubles métaboliques tel qu’un déséquilibre hyperglycémique et une hypercholestérolémie est fréquente après initiation du nilotinib, et peut motiver des mesures spécifiques.

La surveillance et la correction de l’hypophosphorémie, qui concerne près de 50% des patients sous imatinib, peut participer à prévenir l’ostéoporose. 

La toxicité digestive est retrouvée pour tous les ITK. Sous bosutinib, les diarrhées de grade 3-4 atteignent 10% et justifient ainsi une prescription anticipée de lopéramide dès les premiers signes. Les nausées peuvent être réduites en prenant l’imatinib au cours du repas. La pancréatite est une complication classique sous nilotinib (2%) et ponatinib (7%). 

De façon spécifique, les patients sous dasatinib doivent être informés du risque de pleurésie atteignant plus de 25% des patients à 5 ans, justifiant la réalisation d’une radiographie thoracique en cas de toux, dyspnée ou douleur thoracique. L’hypertension artérielle pulmonaire est aussi une complication à évoquer sous dasatinib mais plus rare (0,45%).  

Les céphalées, réactions cutanées et les douleurs musculo-squelettiques sont parmi les complications les plus fréquentes sous ITK, souvent de grade 1-2 mais potentiellement invalidantes. En pratique, un changement d’ITK est opéré en raison d’une mauvaise tolérance chez environ 30% des patients

Concernant le suivi du patient atteint de LMC, l’évaluation de la réponse repose sur la mesure par PCR quantitative du transcrit BCR-ABL1 rapporté au transcrit ABL1 selon l’International Scale (noté BCR-ABL1IS), et exprimé en pourcentage par rapport à la mesure standardisée au diagnostic. Selon les critères ELN 2020 (Hochhaus A, et al. 2020), l’objectif du traitement par inhibiteur de tyrosine kinase est l’obtention d’une réponse moléculaire majeure à partir de 12 mois, définie par un transcrit BCR-ABL1IS<0,1% par rapport au diagnostic. Un changement de l’ITK est indiqué en situation d’échec d’ITK, définie par un transcrit BCR-ABL1IS>10% à 6 mois ou >1% à 12 mois. Dans la zone grise qualifiée de réponse non optimale, par exemple un transcrit BCR-ABL1IS>10% à 3 mois, un contrôle moléculaire est réalisé à 1-3 mois. Un changement pour un ITK de 2e génération est préconisé si le transcrit BCR-ABL1IS reste>10%. La résistance primaire concerne environ 10-15% des patients sous imatinib et <10% sous ITK de 2e génération.

La recherche de mutation de résistance aux ITK est indiquée en cas d’échec primaire, de perte de réponse moléculaire majeure, mais aussi au diagnostic en situation de phase accélérée ou blastique 2. Il n’est pas recommandé de rechercher ces mutations de façon systématique chez les patients en réponse moléculaire majeure. La technique de séquençage haut débit par Next-Generation Sequencing (NGS) est la technique préférentielle, qui a une sensibilité de l’ordre d’1% par rapport au séquençage par Sanger qui a une sensibilité de l’ordre de 20%. La PCR digitale atteignant une sensibilité de 10-5 sera intéressante à l’avenir mais appartient encore au domaine de la recherche. Les mutations touchent principalement la poche ATP du domaine kinase qui est le site de fixation de l’ITK. En particulier, la détection d’une mutation T315I révèle une résistance à la fois à l’imatinib et aux ITK de 2e génération et justifie le changement pour le ponatinib, un ITK de 3e génération, qui requiert un suivi rapproché chez les patients ayant des facteurs de risque cardio-vasculaire. D’autres mutations de résistance fréquentes restent accessibles à certains ITK de 2e génération. 

Récemment, l’asciminib, un inhibiteur allostérique de BCR-ABL qui se lie sur ABL à un site différent d’ABL (poche miristoyl) par rapport aux autres ITK, a démontré son efficacité en cas d’échec à au moins 2 lignes d’ITK 3 et fait l’objet d’une autorisation d’accès compassionnel (https://ansm.sante.fr/tableau-atun/asciminib-40-mg-comprime). 

Enfin, l’arrêt de traitement par ITK est devenu un objectif de la prise en charge des patients présentant une LMC en bonne réponse et est proposé hors essais clinique depuis 2020. L’étude EURO-SKI portant sur 758 patients a démontré l’obtention une réponse prolongée à 2 ans sans traitement chez 50% des patients 4. Les seuls facteurs de succès clairement identifiés sont la durée antérieure de traitement par ITK et la durée de la réponse moléculaire profonde avant l’arrêt de l’ITK. Le Fi-LMC a été pionnier en élaborant dès 2018 des critères d’éligibilité à l’arrêt de l’ITK: patients adultes ayant une LMC en phase chronique avec un transcrit majeur, une durée de traitement par ITK d’au moins 5 ans, dont au moins 2 ans de réponse moléculaire profonde (BCR-ABL1IS<0,0032%). Etant donné que 80% des rechutes moléculaires surviennent pendant les 6 premiers mois 5, le suivi moléculaire réalisé 1 fois par mois jusqu’à 6 mois puis espacé tous les 2 mois jusqu’à 12 mois et tous les 3 mois au-delà. De façon rassurante, la réponse moléculaire majeure est récupérée chez tous des patients dans un délai médian de 3 mois après reprise de l’ITK. Une deuxième tentative d’arrêt de traitement suivant les mêmes critères d’éligibilité permet l’obtention d’une réponse soutenue sans traitement chez 42% des patients 6 et peut être ainsi raisonnablement proposée. Il n’y a pas à ce jour de signal d’évolution blastique ni d’émergence accrue de mutation de résistance, sous réserve d’une surveillance moléculaire à l’arrêt du traitement. L’arrêt des ITK doit aussi être accompagné d’une surveillance clinique. Le patient devra être informé du risque de survenue chez environ 20% des patients d’un syndrome de sevrage aux ITK qui se manifeste principalement par des douleurs musculo-squelettiques. 

Afin d’augmenter les chances de réponse soutenue sans traitement, de nouvelles stratégies sont à l’étude telles que l’association en 1e ligne de l’interféron-pegylé-2-alpha au nilotinib dans l’essai PETALS 7. Les résultats préliminaires suggèrent l’obtention plus fréquente d’une réponse moléculaire profonde à 12 mois par rapport au nilotinib seul (21% vs 16%), mais il faudra d’avantage de recul pour savoir si cette association d’emblée aboutit à une amélioration de la réponse soutenue sans traitement. 

Enfin, la grossesse au cours d’une LMC reste une situation particulière et doit être toujours préparée et accompagnée. Il n’y a pas de signal de toxicité chez les pères traités par ITK mais les ITK sont tératogènes chez la femme traitée au cours du 1er trimestre. Chez les patientes non éligibles à la stratégie générale d’arrêt de traitement, il est recommandé de poursuivre l’ITK jusqu’au premier test de grossesse positif, à réaliser de façon rigoureuse dès la date supposée des règles. Il n’y a pas de consensus clair sur la stratégie en cas de rechute moléculaire ou cytologique en cours de grossesse. Les options discutées au cas par cas incluent l’interféron 2-alpha, la leucaphérèse, ou à partir du 2e trimestre la reprise d’un ITK. 

Au total, le parcours moderne du patient atteint de LMC vise à choisir l’ITK optimal parmi les désormais multiples options de traitement selon le profil d’efficacité/tolérance propre à chaque individu afin d’atteindre la rémission soutenue, sans traitement, mais sous surveillance continue. 

Références :  

1. Steegmann, J. L. et al. European LeukemiaNet recommendations for the management and avoidance of adverse events of treatment in chronic myeloid leukaemia. Leukemia 30, 1648–1671 (2016). 

2. Cayuela, J.-M. et al. Recommandations du France Intergroupe des leucémies myéloïdes chroniques (Fi-LMC) pour l’examen des mutations du domaine kinase de BCR-ABL1 dans la leucémie myéloïde chronique. Bulletin du Cancer 107, 113–128 (2020). 

3. Réa, D. et al. A phase 3, open-label, randomized study of asciminib, a STAMP inhibitor, vs bosutinib in CML after 2 or more prior TKIs. Blood 138, 2031–2041 (2021). 

4. Saussele, S. et al. Discontinuation of tyrosine kinase inhibitor therapy in chronic myeloid leukaemia (EURO-SKI): a prespecified interim analysis of a prospective, multicentre, non-randomised, trial. Lancet Oncol 19, 747–757 (2018). 

5. Campiotti, L. et al. Imatinib discontinuation in chronic myeloid leukaemia patients with undetectable BCR-ABL transcript level: A systematic review and a meta-analysis. Eur J Cancer 77, 48–56 (2017). 

6. Legros, L. et al. Second tyrosine kinase inhibitor discontinuation attempt in patients with chronic myeloid leukemia. Cancer 123, 4403–4410 (2017). 

7. Nicolini, F. Treatment-Free Remissions in Newly Diagnosed CP CML Patients Treated with the Combination of Nilotinib + Pegylated Interferon Alpha 2a Versus Nilotinib Alone in the National Phase III Petals Trial. (ASH, 2021). 

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