Cette session lymphoïde du congrès de la SFH 2022 a offert un large angle de vue sur les lymphomes en rechute ou réfractaires en mettant à l’honneur 2 stratégies à base d’anticorps bispécifiques dans le lymphome folliculaire, 2 stratégies à base de brentuximab-vedotin dans les lymphomes T et un nouvel inhibiteur de BTK dans le lymphome du manteau.
SFH 2022 : lymphomes en rechute ou réfractaires
En premier lieu
Tout d’abord, Franck Morschhauser a présenté les résultats de 2 stratégies différentes basées sur l’association du lenalidomide à un anticorps bispécifique ciblant CD20 dans le traitement du lymphome folliculaire en rechute ou réfractaire.
De façon intéressante, le lenalidomide stabilise la synapse immunologique et augmente le nombre de lymphocytes T et NK circulants1. La combinaison rituximab-lenalidomide, communément appelé R2, a démontré préalablement dans l’essai de phase 3 AUGMENT une survie sans progression à 58% à 2 ans dans les lymphomes folliculaires ou de la zone marginale réfractaires ou en rechute, versus 36% pour le bras contrôle rituximab+placebo2.
L’étude de phase 1-2 EPCORE teste l’ajout à cette combinaison R2 de l’epcoritamab, un anticorps bispécifique qui reconnait à la fois un épitope du CD20 (différent de celui reconnu par le rituximab) et le CD3 sur les lymphocytes T. Le rationnel de ce double ciblage du CD20 serait de combiner la cytotoxicité/phagocytose médiée les cellules NK et macrophagiques déclenchée par le rituximab d’une part, et d’autre part, la lyse cellulaire induite par les lymphocytes T recrutés par l’anticorps bispécifique. Les résultats préliminaires de l’étude EPCORE NHL-2 bras 2 étaient présentés ici incluant 29 patients présentant un lymphome folliculaire en rechute ou réfractaire, avec un âge médian de 67 ans, ayant reçu 1 ligne antérieure en médiane (intervalle 1-5). La population comprenait 90% de stade III-IV, 11 patients (38%) qui avaient progressé dans les 24 mois suivant le traitement initial et 17% de patients réfractaires primaires. L’epcoritamab était délivré par voie sous-cutanée, en association à la combinaison R2 (selon AUGMENT) pendant 12 cycles. Après une phase d’escalade de dose (paliers à 24 ou 48 mg), la dose de 48mg a été retenue pour la phase d’expansion. Concernant la tolérance, il y avait 48% de syndrome de relargage cytokinique (dont 7% grade 3-4) mais aucune toxicité neurologique ni syndrome de lyse n’ont été observés. Sur 24 patients analysés avec un suivi médian de 2,8 mois, l’efficacité de cette triplette était remarquable atteignant 100% de réponse dont 92% de réponse métabolique complète évaluée par TEP-scanner. Ces données encourageantes appuient la poursuite de la phase 2b qui enrôlera 80 patients supplémentaires.
Une autre piste intéressante repose sur le mosunetusumab, un autre anticorps bispécifique CD20-CD3 qui avait démontré en monothérapie une réponse globale de 79% (dont 58% de réponse complète) dans une population de lymphome folliculaire réfractaire ou en rechute ayant reçu au moins 2 lignes antérieures3. Dans l’espoir de renforcer l’efficacité, l’étude de phase 1b présentée ici a investigué l’association du mosunetusumab au lenalidomide chez 29 patients, avec un âge médian de 59 ans et ayant reçu 1 ligne antérieure en médiane (jusqu’à 6 lignes). La population comprenait 93% de stade III-IV, 11% de patients ayant progressé dans les 24 mois suivant le début du traitement initial et 24% de patients réfractaires. Le mosunetusumab était délivré par voie intraveineuse à doses hebdomadaires progressives lors du 1er cycle puis 30 mg/28j pendant 12 cycles. Pour limiter le risque de toxicité, le lenalidomide était débuté à partir de C2 à la dose de 20 mg pendant 21 jours sur 28. Le syndrome de relargage cytokinique était retrouvé chez 28% des patients, tous de grade 1-2 et limités aux 2 premiers cycles. Un cas de neurotoxicité a été rapporté à type d’amnésie de grade 1. Ces résultats rassurent sur l’absence d’excès de toxicité liée à la combinaison au lenalidomide. Le taux de réponse a atteint 90% dont 66% de réponse métabolique complète lorsqu’on évalue la meilleure réponse obtenue par TEP-scanner avec un délai médian de 2,5 mois. Cette association ambulatoire prometteuse mosunetuzumab-lenalidomide sera étudiée versus rituximab-lenalidomide dans l’essai de phase 3 CELESTIMO.
Raphaëlle Aubrais a par la suite présenté une étude rétrospective du LYSA reprenant le devenir de patients atteints de lymphome T (cutanés exclus) en rechute/réfractaire traités par brentuximab-vedotin (BV, anticorps anti-CD30 couplé à un poison du fuseau) et bendamustine dans 21 centres. La cohorte de 82 patients avait une médiane d’âge de 60 ans, comportait 87% de stade III-IV, 37% de score IPI 3-5 et 50% de patients réfractaires à la dernière ligne. Les patients avaient reçu en médiane 1 ligne antérieure et jusqu’à 6 lignes. Les 3 sous-types histologiques les plus représentés étaient les TFH (51%), lymphomes anaplasiques (24%) et les lymphomes T périphériques NOS (16%). La combinaison BV-Bendamustine a permis une réponse globale de 68% dont 49% de réponse complète. En analyse multivariée, le seul facteur négativement associé à la réponse était le caractère réfractaire à la dernière ligne. L’expression de CD30 était positive sur les cellules tumorales chez 2/3 des patients et n’était pas un facteur prédictif de la réponse. Cependant, le CD30 était exprimé dans l’environnement tumoral chez tous les patients. Avec un suivi médian de 22 mois, les médianes de survie sans progression et de survie globale sont de 8,3 mois et 26,3 mois respectivement. Ces résultats apparaissent encourageants dans ces rechutes au pronostic sombre pour lesquelles les stratégies actuelles offrent une médiane de survie sans progression et de survie globale de 3 mois et <12 mois respectivement4. Une consolidation par greffe de cellules souches hématopoïétiques a été réalisée chez 22 patients (6 autogreffes et 16 allogreffes). En analyse multivariée, la consolidation par greffe et la réponse au traitement étaient prédictifs de meilleures survie sans progression et survie globale. La neuropathie périphérique grade 3-4 était décrite chez 9% des patients. Les cytopénies étaient fréquentes avec 27% de neutropénie grade 3-4. Le traitement a été arrêté pour toxicité chez 11% des patients, et les doses réduites chez 30% des patients, démontrant une tolérance acceptable. Ces résultats invitent à étudier prospectivement la combinaison BV-Bendamustine pour les lymphomes T en rechute/réfractaires.
Toujours dans la thématique BV et lymphome T, David Sibon a montré les résultats de l’étude prospective de phase 2 EATL-001 des réseaux CELAC et LYSA incluant le BV à la stratégie de chimiothérapie dans le sous-type de lymphome T associé aux entéropathies (EATL). Ce sous-type rare a un pronostic particulièrement sombre avec une survie médiane de 7 mois5. Le schéma repose sur 4 cures de BV-CHP suivie de 2 cures de VP16-Méthotrexate puis une autogreffe conditionnée par BEAM. L’expression du CD30 devait être positive dans au moins 10% des cellules tumorales en relecture centralisée. En 3 ans, 14 patients ont été inclus, avec un âge médian de 54 ans et un PS à 2-3 pour 57% des patients. Après 4 cures de BV-CHP, on observait 79% (11/14 patients) de réponse globale dont 64% (9/14 patients) de réponse complète. Un état réfractaire primaire a conduit au décès du lymphome chez 3 patients (21%), soulignant l’agressivité de cette pathologie. Avec un suivi médian de 2,7 mois, la survie sans progression et la survie globale à 2 ans sont évaluées à 64%. Le profil de tolérance du BV (évalué jusque 30 jours après la dernière dose) parait acceptable avec 8% de neutropénie fébrile et aucun arrêt pour toxicité. En revanche, 2 décès toxiques ont eu lieu après l’autogreffe (sepsis). Cet essai semble prometteur par rapport aux contrôles historiques montrant une survie globale à 2 ans <50% (D’Amore et al., 2012 ; Phillips et al., 2019). Ces résultats seront à confirmer sur un plus grand nombre de patients.
La session a ensuite fait entrer en scène le pirtobutinib, un nouvel inhibiteur de BTK non covalent, qui présente l’avantage d’être hautement sélectif pour BTK et de conserver une efficacité en présence de mutations C481 de BTK. En effet, ces mutations altèrent le site de fixation des inhibiteurs covalents (ibrutinib, acalabrutinib, ou zanubrutinib) et ont été décrites parmi les mécanismes de résistance. Lorsque le lymphome du manteau échappe aux inhibiteurs covalents de BTK, la médiane de survie globale est inférieure à 9 mois6, soulignant l’intérêt de développer de nouvelles options. Dans l’étude de phase 1/2 BRUIN présentée par Steven Le Gouill, 134 patients avec un lymphome du manteau en rechute ou réfractaire ont été inclus. Ces patients avaient un âge médian de 70 ans et avaient reçu en médiane 3 lignes antérieures (jusqu’à 9). Une greffe de cellules souches avait été réalisé chez 30 patients (22%). Parmi les 120 patients (90%) qui avaient déjà reçu un inhibiteur de BTK, 83% l’avaient interrompu pour progression. La dose recommandée pour la phase 2 de pirtobrutinib était de 200mg/j per os en continu.
Parmi les 100 patients analysés pour l’efficacité qui avaient déjà reçu un inhibiteur de BTK, le pirtobrutinib a permis une réponse globale de 51% (25% de réponse complète). Avec un suivi médian court de 8 mois, les patients répondeurs maintiennent cette réponse pendant une durée médiane de 18 mois. La tolérance a été analysée sur la totalité des 618 patients de cette étude qui incluait plus largement des patients avec LLC et autres hémopathies B. La neutropénie grade 3-4 a été observée chez 14% des patients, les hémorragies de grade 3-4 chez 1% des patients et 10 évènements de flutter/fibrillation auriculaire ont été rapportés au total mais aucun n’a été relié au traitement. Au total, seulement 1% des patients ont arrêté le pirtobrutinib pour intolérance. Ainsi, cette promesse d’efficacité et sécurité sera à confirmer dans l’étude de phase 3 BRUIN MCL-321 randomisant le pirtobrutinib versus un inhibiteur covalent de BTK choisi par l’investigateur (ibrutinib, acalabrutinib, ou zanubrutinib) chez les patients avec lymphome du manteau en rechute ou réfractaire.
Enfin
En conclusion, cette session encourage sur l’arrivée potentielle de renforts dans l’arsenal thérapeutique des lymphomes en rechute ou réfractaires. Il ne nous reste plus qu’à guetter avec impatience les résultats des analyses avec un suivi plus important, ainsi que les études de phase 3 à venir.
Références
1. Chiu, H. et al. Combination lenalidomide‐rituximab immunotherapy activates anti‐tumour immunity and induces tumour cell death by complementary mechanisms of action in follicular lymphoma. Br J Haematol 185, 240–253 (2019).
2. Leonard, J. P. et al. AUGMENT: A Phase III Study of Lenalidomide Plus Rituximab Versus Placebo Plus Rituximab in Relapsed or Refractory Indolent Lymphoma. J Clin Oncol 37, 1188–1199 (2019).
3. Budde, L. E. Mosunetuzumab Monotherapy Is an Effective and Well-Tolerated Treatment Option for Patients with Relapsed/Refractory (R/R) Follicular Lymphoma (FL) Who Have Received ≥2 Prior Lines of Therapy: Pivotal Results from a Phase I/II Study. in (ASH, 2021).
4. O’Connor, O. A. et al. Randomized Phase III Study of Alisertib or Investigator’s Choice (Selected Single Agent) in Patients With Relapsed or Refractory Peripheral T-Cell Lymphoma. J Clin Oncol 37, 613–623 (2019).
5. de Baaij, L. R. et al. A New and Validated Clinical Prognostic Model (EPI) for Enteropathy-Associated T-cell Lymphoma. Clinical Cancer Research 21, 3013–3019 (2015).
6. Cheah, C. Y. et al. Patients with mantle cell lymphoma failing ibrutinib are unlikely to respond to salvage chemotherapy and have poor outcomes. Ann Oncol 26, 1175–1179 (2015).
Article réalisé par Marine Cazaux, interne en hématologie et l’Association des Internes en Hématologie (AIH).